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Route du Rhum : l’analyse de Romaric Neyhousser et Hervé Penfornis

Collaborateurs de Guillaume Verdier, qui a notamment dessiné le Maxi Edmond de Rothschild, vainqueur en Ultim de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, et les deux premiers en Imoca, LinkedOut (Thomas Ruyant) et Apivia (Charlie Dalin), l’architecte Romaric Neyhousser et l’ingénieur Hervé Penfornis reviennent pour Tip & Shaft sur cette 12e édition.

► Commençons ce tour d’horizon par les Ultims : le Maxi Edmond de Rothschild était-il encore cette année au-dessus du lot ?
Hervé Penfornis : Disons que c’est le bateau le plus abouti, parce que ça fait sept ans que les mecs bossent dessus. Le fait d’avoir cassé il y a quatre ans a permis aussi de prendre pas mal de recul, la fiabilité est vraiment devenue un cheval de bataille, on a passé six mois à retravailler sur la structure du bateau et à renforcer là où on avait des doutes. L’arrivée de Charles (Caudrelier) et de Franck (Cammas) a aussi joué, surtout Franck qui a vraiment beaucoup apporté en termes d’analyses de performances et d’améliorations du bateau. Donc oui, il a montré qu’il restait au-dessus du lot, mais on a bien vu que Banque Pop n’était jamais très loin au début, François (Gabart) aussi, la concurrence arrive. Je pense que l’année prochaine, on verra peut-être SVR Lazartigue se rapprocher de plus en plus, voire passer devant, parce que le bateau est plus léger et qu’ils ont beaucoup travaillé sur l’aéro.

► Le Gitana Team a annoncé plancher sur un futur bateau, comment faire un meilleur Ultim ?
Romaric Neyhousser : L’évolution est évidemment au niveau des appendices, on est loin d’avoir fait le tour de la question. Il y a aussi un facteur indépendant de la techno, c’est tout ce qui a trait à l’asservissement et à la régulation pilotée, c’est un domaine qui peut donner un énorme boost au bateau. L’aéro est aussi un point clé : même si Gitana a mis la barre haut, on voit que la copie de François Gabart est un peu au-dessus dans ce domaine, il faut évidemment aller dans cette direction. Et il reste la partie gréement dans laquelle je pense qu’il y a beaucoup de choses faire, on pourrait voir des choses novatrices à l’avenir.

 

► Passons à l’Imoca : vous avez dessiné cinq des six premiers bateaux au classement, est-ce une surprise de les voir si bien classés ?
H. P. : On a pas mal bossé ces derniers mois sur les nouveaux bateaux, on en a mis quatre à l’eau cette année et ils sont quasiment tous dans ce groupe [Holcim-PRB 4e, V and B-Monbana-Mayenne 5e, Biotherm 6e, seul Maître CoQ, 19e, n’y est pas NDLR], donc c’est forcément très satisfaisant. Je pense notamment à Biotherm mis à l’eau très tard avec très peu de préparation, Paul (Meilhat) a réussi à faire un super résultat. Toutes les équipes ont fait un boulot de fou, car réussir à construire le bateau en neuf mois, faire en sorte qu’il soit au départ de la Route du Rhum et le voir arriver au bout sans trop de bobos, c’est une sacrée performance.

► LinkedOut s’impose devant Apivia, souvent décrit comme un bateau polyvalent, finalement, n’est-ce pas le bateau de Thomas Ruyant le plus polyvalent ?
R. N. : Sa grande force, justement, c’est qu’il n’est pas trop typé ; après, c’est évident que dans certaines conditions, notamment au portant, il a un petit avantage du fait de son gréement et de ses foils. Je veux aussi souligner le fait qu’il faut être un sacré bonhomme pour accepter de mettre le niveau d’engagement dont a fait preuve Thomas, il a vraiment été pied au plancher et avait visiblement suffisamment confiance en sa machine pour la pousser à ce point-là. Il fait manifestement partie des skippers capables d’aller loin par moments, et si ça ne casse pas, ça marche !

► Quand on voit la domination de ces deux bateaux, on se demande pourquoi en construire de nouveaux, non ?
R. N. : Il y a certaines évolutions qui sont difficiles à implémenter sur des bateaux existants, notamment les foils qui nécessitent de revoir toute la zone structurelle, la configuration des puits… Les carènes font aussi partie du développement, c’est toujours plus efficace de refaire une carène qui concentre toutes les optimisations que tu as en tête que d’en modifier une. Et sur cette Route du Rhum, certes les Imoca neufs ne finissent pas en tête, mais la marge d’évolution est énorme entre un bateau au début de sa vie et ce qu’il devient, fiabilisé, réglé et peaufiné, quand il a fait un certain nombre de transats. Les bateaux de Charlie et Thomas, sauf modifications lourdes, sont aujourd’hui au paroxysme de leurs performances, ils sont ultra-fiables, avec des marins qui les connaissent par cœur, et ils sont bien au-dessus de ce qu’ils étaient il y a trois ans. Donc si les nouveaux bateaux qui, déjà, ne sont pas très loin, connaissent la même évolution, ils seront dans deux ou trois ans beaucoup plus performants.

► A quoi ressemblera Apivia 2 ?
H. P. : Ce sera forcément une évolution du bateau actuel. Charlie a une belle base, l’idée n’est certainement pas de tout mettre à la poubelle et de repartir de zéro, donc l’objectif était plutôt de reprendre les bons éléments et d’améliorer ceux qui péchaient un peu.
R. N. : La différence la plus visible sera principalement autour de la zone de vie et de la gestion de l’espace, l’idée est que le bonhomme soit de moins en moins le maillon faible.

► Romaric, tu as dessiné à ton propre compte Arkema 4, deuxième en Ocean Fifty avec Quentin Vlamynck derrière Koesio, ses performances ont-elles été à la hauteur de ce que tu espérais ?
R.N. : Il y a forcément une petite frustration de terminer deuxième en ayant mené quasiment 95% du parcours, mais c’est un résultat assez génial. L’énorme point positif, c’est la protection du bateau, sur laquelle on avait mis un accent particulier, ça change tout. Sinon, on savait que le bateau serait à l’aise au près, ce qui a été le cas, parce qu’il est très raide, très aéro, ça a été un des points clés du projet. Il a ensuite été un peu en dessous par rapport à Erwan (Le Roux) dans l’alizé, on savait que Koesio serait à l’aise car il est très léger, c’est le seul qui est au minimum du poids de jauge, il a des capacités d’accélération et de glisse au portant VMG plutôt bonnes. Au final, je crois que c’est l’expérience d’Erwan qui a parlé. Sur les dernières 48 heures, il a mis une pression énorme sur Quentin parce qu’il savait que son bateau était potentiellement un peu plus à l’aise au portant, ce petit plus dans ces conditions a joué un rôle psychologique assez fort. Et il ne faut pas oublier c’était la première transat en solitaire de Quentin sur un tel bateau, il est encore en apprentissage. Je pense qu’à la fin, il a voulu assurer, il m’a confié avoir navigué hyper safe, ce qui explique qu’il n’a sans doute pas toujours eu les bonnes configurations de voilure. A la fin, Erwan était plutôt grand gennak et un ris dans la grand-voile, Quentin, c’était plutôt l’inverse, GV haute, petit gennak. Et ils ont tous relaté un alizé spécial, des conditions de mer assez pourries, qui ne sont vraiment pas les plus propices à l’expression de la vitesse pure du bateau, elles mettent beaucoup en jeu l’expérience du marin, là-dessus, Erwan avait un petit avantage.

► Tu travailles actuellement sur le futur Ocean Fifty de Sébastien Rogues, construit dans les moules d’Arkema 4, où sont les marges de progression ?
R.N. : Dans l’aéro, qu’il ne faut surtout pas compromettre, et dans la gestion de la zone de cockpit. Sébastien veut mettre le curseur au-dessus sur ce sujet, c’est vraiment le nœud qui concentre le plus de modifications et d’impacts sur le bateau. Le fait de naviguer « en pantoufles », de sortir le plus tard possible, d’avoir des postures les plus ergonomiques possibles, ce sont des éléments clés.

Tip & Shaft