Vendée Globe : des machines volantes vont s’affronter sur l’eau

Les voiliers les plus puissants du monde s’élancent dimanche 6 novembre 2016 à 13h02 pour la 8e édition de cette mythique course autour du monde.

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Armel Le Cleac’h lors de son arrivée en seconde position aux Sables-d’Olonnes le 27 janvier 2013, durant la 7è édition de la course du Vendee Globe
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MOUSTACHES. Ils ont fait sensation durant l’édition 2013 de l’America’s Cup. Les deux catamarans Oracle Team USA et Emirates Team New Zealand s’étaient affrontés dans la baie de San Francisco sans quasiment toucher l’eau, portés par d’étranges appendices : les « foils ». Des structures porteuses placées sous la coque et dont la fonction est de soulever le bateau aux allures portantes. Ainsi, les frottements s’en trouvent considérablement réduits. De plus, la quille du navire s’incline pour améliorer la stabilité. L’an passé, le bateau Safran avait été le premier à s’équiper de ces « foils » également appelés « moustaches ». Cette année, huitième édition du Vendée Globe, 7 bateaux sur les 29 en lice en seront équipés(*), dont trois (Safran, Banque Populaire et Hugo Boss) ont été développés en une même collaboration.

« Le bateau va alors plus vite que la vitesse propre du vent »

« Nous vivons un véritable tournant dans la navigation, s’enthousiasme Gérard Le Page, président de SafranSailing Team. Petit à petit, tout le monde va s’y mettre. L’objectif premier n’est pas de faire voler les bateauxmais de leur donner un appui qui s’oppose à la force du vent qui tend à le faire pencher. Au lieu de transformer la force du vent en gîte, cela lui donne une accélération. Le bateau va alors plus vite que la vitesse propre du ventComme pour les ailes d’avion , il faut que le bateau prenne de la vitesse pour que la force hydrodynamique développe une portance. Ainsi à partir de 15 nœuds (environ 30 km/heure) il a tendance à se cabrer et vers 20 à 25 nœuds (40 à 50 km/h) il sort de l’eau sur les deux tiers avant. » Un spectacle magnifique qui permet à ces machines surtoilées de faire des pointes à plus de (60 km/h), et d’aller 10 à 15% plus vite que les monocoques « classiques » à quille droite. Mais ce gain de vitesse a un prix. Les skippers de ces monocoques devront encaisser des accélérations et des décélérations brutales et de plus « cela provoque des chocs importants quand le bateau frappe dans les vagues, ajoute Gérard Le Page. C’est très physique pour le marin. C’est d’ailleurs là une des inconnues de cette édition : est-ce que les marins pourront tirer profit de ces avancées technologiques ? Est-ce que la limite n’est pas celle de l’homme à bord ? » De fait, à de telles vitesses au dessus de l’eau, la moindre faute de barre peut être sanctionnée d’un chavirage. À plus forte raison lorsque la mer est formée.

Ce qui implique parfois pour les skippers de revoir toute leur science de conduite des voiliers. « J’ai débuté sur le GC 32 en février en croyant que ma connaissance du maniement des bateaux à voile allait marcher sur ce type de catamaran, avouait l’année dernière à Sciences et Avenir Sébastien Josse, skipper sur le Edmond de Rothschild. Mais il m’a fallu oublier tous mes réflexes pour en apprendre de nouveaux. Avant, les navires ‘archimédiens’ adoptaient des mouvements linéaires contraints par la résistance de l’eau tandis que ces bateaux volants évoluent en crabe. Il faut donc accepter que les coques se dérobent car elles dérapent désormais sur leurs appendices« . De plus, dans des conditions de vent plus légères, ainsi qu’aux allures de près (lorsque le navire remonte au vent), les navires « foilers », plus lourds, sont désavantagés par rapport à ceux à quille droite.

De nombreuses simulations numériques

Reste également une inconnue quant à la résistance de ces machines de dernière génération sur une course très longue (le record, établi en 2013 par François Gabart, est de 78 jours et 2 heures) dans laquelle les machines sont mises à très rude épreuve. On se souvient de l’édition 2002 de la Route du Rhum, une course pourtant beaucoup plus courte car « que » transatlantique, qui fut une hécatombe. Sur les 58 navires au départ, seuls 28 étaient parvenus jusqu’aux Antilles. « Lors d’épreuves extrêmement difficiles comme le Vendée Globe, les bateaux sont contraints de traverser certaines régions redoutées, comme la zone des alizés après le passage de l’équateur. Le choc d’une vague peut alors représenter une pression de 8 tonnes par mètre carré, ce qui implique que nous dimensionnions la proue pour qu’elle résiste à une pression de 22 t/m2 afin d’éviter toute voie d’eau fatale« , expliquait à Sciences et Avenir Guillaume Verdier, architecte naval. Aussi, les concepteurs de ces monstres marins ont-ils recours à de nombreuses simulations numériques lors de la conception de leurs navires, afin de prévoir très précisément quels seront les efforts supportés par chaque point du bateau et déterminer le nombre de couches de carbone et les renforts nécessaires pour prévenir la casse, principalement sur la coque et le mât. Pour le bateau Safran de Morgan Lagravière , « nous avons transposé une technologie de carbone tissé en trois dimensions –  fruit de plusieurs décennies de R&D dans le domaine de l’aéronautique qui équipe aujourd’hui les fans des moteurs d’avion de dernière génération, explique Gérard Le Page. Ce nouveau matériau est appliqué aux safrans du bateau, des organes également critiques car exposés aux chocs avec des objets flottants. »

De telles innovations ont permis aux navires « foilers » de faire leurs preuves sur de grandes courses océaniques. Ainsi, le skipper François Gabart a remporté en mai 2016 la transat anglaise qui relie Plymouth (Royaume-Uni) à New York (États-Unis), soit environ 5600 kilomètres, sur un trimaran pourvu de foils. Ce fut également le cas pour Sébastien Josse, vainqueur de la transat St Barth – Port La Forêt en janvier 2016, ou encore de la transat New-York –  Vendée en mai 2016 remportée par Jérémie Beyou sur son monocoque Maître Coq. Qui du lièvre de nouvelle génération ou de la tortue à la fiabilité éprouvée remportera cette course mythique ? Réponse mi-janvier 2017 sur la ligne d’arrivée.

(*) Les navires équipés de foils sont ceux de : Jérémie Beyou (Maître Coq), Armel Le Cléac’h (Banque populaire), Jean-Pierre Dick (Saint-Michel-Virbac), Pieter Heerema (No Way Back), Sébastien Josse (Edmond de Rothschild), Morgan Lagravière (Safran) et Alex Thomson (Hugo Boss)

Rédigé par Loïc Chauveau, Olivier Hertel, Erwan Lecomte et Sylvie Rouat

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