Vendée Globe/ Charlie Dalin: «J’ai le sentiment d’avoir pris souvent beaucoup de risques »
Une semaine après sa victoire sur le Vendée Globe, nous avons rencontré Charlie Dalin pour parler, à froid, de sa performance et de l’intensité de ce tour du monde bouclé avec un chrono hallucinant en 64 jours. Il a été question de ses saisons en Figaro, de son redoutable concurrent Yoann Richomme mais aussi de son mental qu’il a travaillé depuis des années. Premier volet de notre entretien Anticyclone.
Voiles et Voiliers : On vous a entendu et vu partout suite à votre victoire sur le Vendée Globe. Qu’est-ce que vous n’avez pas encore raconté sur vous ou votre course ?
Charlie Dalin : Oh là, je ne sais pas ! Ce dont on a peu parlé, c’est que le podium du Vendée Globe est 100 % figariste. Presque tout le top 10 a fait la Solitaire du Figaro. La génération aux avant-postes sur ce Vendée s’est forgée sur le circuit Figaro depuis une dizaine d’années : Beyou, Lunven, Meilhat, Mettraux… Tous les premiers skippers de cette 10ᵉ édition y sont passés. Si on veut que dans 10 ans, il y ait encore un Vendée Globe avec cette intensité-là, c’est maintenant que ça se joue : il faut promouvoir et soutenir ce vivier, que les jeunes aillent sur le circuit et qu’ils y restent plus longtemps. Chaque gros sponsor du circuit Imoca pourrait avoir un Figaro avec un jeune espoir à bord afin que des marins prometteurs puissent se former et viser un Vendée Globe à haut niveau.
Voiles et Voiliers : Justement, comme vous en parlez, les deux autres skippers sur le podium ont tous les deux remporté une Solitaire du Figaro. Vous, vous êtes monté sur le podium cinq fois, mais vous ne l’avez jamais remportée. Est-ce une frustration dans votre carrière de marin ?
Charlie Dalin : Oui, c’est une course que j’aimerais gagner un jour. Je ne sais pas si cinq podiums valent une victoire, mais cela reste encore un record inégalé. En 2016, je rate la victoire face à Yoann Richomme pour 5 minutes, et je termine troisième en 2018 quand Sébastien Simon la gagne. Je ne sais pas si je reviendrai, car c’est un circuit qui demande beaucoup d’engagement. Tu ne peux pas juste louer un Figaro avant la Solitaire et espérer la gagner. Ce ne serait pas réaliste.
Voiles et Voiliers : On sait que vous analysez beaucoup vos courses. Avez-vous déjà commencé à le faire pour le Vendée Globe ?
Charlie Dalin : Oui, on a commencé des débriefings avec l’équipe. On procède par petits morceaux de 2 heures, car je suis encore un peu fatigué. Il nous faudra trois ou quatre sessions pour tout passer en revue.
Voiles et Voiliers : Comment passe-t-on en revue un tour du monde ?
Charlie Dalin : On le fait domaine par domaine : accastillage, gréement courant, dormant… On découpe en sections et on analyse tout, tout simplement. On essaie de le faire tant que c’est frais.
Voiles et Voiliers : Là, c’est avec votre équipe technique, mais dans votre tête aussi, vous avez commencé votre analyse ?
Charlie Dalin : Oui. Et je vais aussi débriefer avec mon préparateur mental, mon équipe sommeil… Je vais faire un état des lieux de mon dos avec mon ostéopathe pour voir dans quel état il est. Un truc que je regrette, justement, mais que je n’ai pas eu le temps de faire à cause de l’effervescence du départ et de l’arrivée, c’est de ne pas avoir pris de mesures biologiques : prise de sang, masse adipeuse, poids, circonférence des bras et des jambes… Je sais que j’ai perdu des cuisses, par exemple, mais je ne sais pas combien exactement.
Voiles et Voiliers : Vous aimez aller dans ce niveau de détail ?
Charlie Dalin : Oui, parce que je pense qu’on peut tirer des conclusions sur l’alimentation pour ajuster l’avitaillement. Après, je ne pense pas qu’on puisse faire grand-chose sur la fonte des membres inférieurs. Je ne vais pas me mettre à faire des squats pendant la course, c’est déjà suffisamment intense comme ça. Mais des analyses comme les prises de sang pourraient être intéressantes pour comprendre les effets de l’alimentation.
Voiles et Voiliers : Pour revenir sur votre victoire, on dit souvent que pour faire un bon vainqueur, il faut un bon deuxième. Yoann Richomme était le parfait adversaire pour vous ?
Charlie Dalin : Oui. Depuis le jour où le projet de Yoann a été annoncé, je savais que ce serait un de mes plus gros concurrents, sans même savoir quel bateau il allait avoir, quel architecte il choisirait, avec quelle équipe autour de lui… Nos chemins s’étaient séparés fin 2016, à la fin de sa sélection Skipper Macif. Il est parti sur le Class40 et d’autres projets à droite et à gauche. La première course où nous nous sommes retrouvés adversaires, c’était la Rolex Fastnet en 2023. On était bord à bord à quelques milles de l’arrivée, et je termine 5 minutes derrière lui. En 2024, il gagne la Transat CIC, moi je gagne le retour, la New York Vendée… C’était un avant-goût de ce qui allait se passer sur le Vendée.
Voiles et Voiliers : Yoann a parcouru plus de milles et a été un peu plus rapide…
Charlie Dalin : Oui, j’ai vu les statistiques à l’arrivée. Je pense qu’il a parcouru plus de terrain en partant au Nord de la dépression aux Kerguelen, dans l’océan Indien. À ce moment-là, j’ai eu un peu plus de vent faible et lui du vent plus longtemps. Mais en effet, il a été un peu plus rapide.
Voiles et Voiliers : Vous avez des manières très différentes de naviguer. Lui a par exemple raconté qu’il a écouté beaucoup de podcasts, qu’il a lu… Est-ce que vous aussi, vous avez réussi à vous échapper du bateau ?
Charlie Dalin : Non. Ce n’est pas trop mon style. J’avais pris des podcasts, mais je n’en ai pas écouté une seconde. Par contre, un peu de musique. C’est vrai qu’on ne navigue pas de la même manière. J’ai l’impression que le solitaire, sans parler à sa place, ce n’est pas trop son truc. Il a besoin d’échanger, de sentir une présence, d’entendre des voix. Moi, j’aime bien être dans ma bulle. Je ne me suis pas intéressé à ce qu’il se passait à terre. Cela permet de ne pas se laisser affecter par telle ou telle nouvelle.
Voiles et Voiliers : Vous diriez que votre manière de naviguer est compulsive ?
Charlie Dalin : Compulsive, je ne sais pas. J’aime être concentré sur ce que je fais et ne pas être dérangé.
Voiles et Voiliers : Revenons sur l’intensité de cette course à la victoire. Pensez-vous être allé au-delà de ce que vous pensiez faire au départ ?
Charlie Dalin : Ce qui est sûr, c’est que passer la barre des 70 jours ne m’étonne pas, mais je n’aurais jamais misé sur la barre des 65 avant le départ. On a eu un enchaînement assez dingue en tête de flotte. Que Yoann soit là, ça nous a permis de pousser le bateau au maximum. Cela n’aurait pas été pareil si l’un d’entre nous avait été tout seul devant. On serait allé beaucoup moins vite. J’ai le sentiment d’avoir pris souvent beaucoup de risques. Je naviguais en haut de la plage de réglages très souvent. À la sortie du pot au noir, je suis resté grand-voile haute alors que j’aurais dû réduire. Et ça, je l’ai fait un paquet de fois. J’ai beaucoup navigué surtoilé. Le long du Portugal, je fais des pointages très rapides. Dans 27-28 nœuds, je suis toujours grand-voile haute et J0… Tu te rends compte que ça passe et que ça va plus vite. Je me suis remis à naviguer comme en Figaro. Un jour, je fais presque 600 milles en 24 heures. À ce moment-là, je me force à naviguer au-delà de ce que je pensais être la limite pour regagner du terrain sur Yoann, mais je sens que je fais mal au bateau. Ça ne me plaît pas. Ça n’a pas manqué puisque quelques jours après, je découvre la fissure dans la coque, et c’est à ce moment-là que je l’ai faite.
Voiles et Voiliers : Vous avez parlé aussi d’un dérapage…
Charlie Dalin : … de sommeil. Je ne sais plus quand c’était, mais j’ai dormi 3 heures d’affilée. On ne fait pas ça normalement. Quand tu te rends compte que tu as dormi au-delà de ce que tu souhaitais, tu vérifies tout de suite si tu es allé dans la bonne direction. Le deuxième truc que tu vérifies, c’est ta vitesse moyenne sur la phase de sommeil. Les choses sont bien faites. Si le cerveau a estimé qu’il ne fallait pas se réveiller, c’est que les conditions n’avaient pas changé. Au final, c’est presque une bonne chose, car je devais récupérer. Mais tu es content que ça t’arrive dans les mers du Sud et pas en Atlantique où il y a beaucoup de trafic.
Source: @Voiles et Voiliers