,

Vendée Globe : Ces boîtes high-tech françaises qui ont aussi gagné la course.

Derrière le tour du monde en solitaire, une cohorte de boîtes high-tech. Gros plan sur cette “Sailing Valley”.

©Capital

De g. à dr. : Philippe Facque, P-DG de CDK Technologies, Paul Fraisse, directeur de NKE, Vincent Marsaudon, P-DG de Lorima, Vincent Lauriot-Prévost, cofondateur de VPLP, Yann Cornec, directeur de Plastimo, Ariane Pehrson, fondatrice de Lyophilise & Co.
© Martin Colombet Pour Capital

 

C’est fait : Armel Le Cléac’h sur « Banque Populaire VIII », a remporté le Vendée Globe, à l’issue d’un duel acharné avec Alex Thomson, à la barre d’«Hugo Boss». Mais un homme resté à terre ressort lui aussi vainqueur de cette compétition : Vincent Lauriot-Prévost.

C’est son cabinet d’architecture marine de Vannes qui a dessiné les deux monocoques, en tandem avec celui de Guillaume Verdier, un confrère du golfe du Morbihan. Il a aussi travaillé, avec sa quinzaine d’architectes, de designers et d’ingénieurs, sur deux autres bateaux, « Maître Coq » (en troisième position) et « Edmond de Rothschild » (qui a abandonné). Tous sont équipés de « foils », ces moustaches qui soulèvent les carènes hors de l’eau et permettent de gagner en vitesse, mais qui rendent le bateau plus fragile, plus brutal à piloter et plus cher (160.000 euros la paire d’appendice en fibre de carbone). « Sans prise de risque, dur de jouer la gagne ! », souligne Vincent Lauriot-Prévost.

On n’a d’yeux que pour les skippers et leur terrible voyage en solitaire de trois mois. Mais, en coulisses, un équipage d’experts s’active sans compter pendant les deux ans et demi qui précèdent la course. Ils sont architectes, on l’a vu, mais également électroniciens, informaticiens ou spécialistes des composites. Marins dans l’âme, ils travaillent pour la plupart dans le sud de la Bretagne, entre Quimper et Vannes, à proximité des ports d’attache – Port La Forêt, Lorient, La Trinité-sur-Mer… – des « teams » participant aux plus belles courses, Vendée Globe, transats, Trophée Jules Verne ou à la Solitaire du Figaro. Le centre de gravité de cette « Sailing Valley » est situé à Lorient, autour de l’imposant bunker à sous-marins construit en 1940 par les Allemands et transformé aujourd’hui en « cluster » de la course au large. C’est sur le toit de ce blockhaus que Capital a réuni quelques figures du milieu, des patrons de PME ultrapointus, pas ramenards pour un sou, mais qui portent haut le « made in France ».

Le poids économique de ce segment ? «Une centaine d’entreprises en Bretagne, pour un chiffre d’affaires de 215 millions d’euros et un millier d’emplois, estime Carole Bourlon, directrice d’Eurolarge Innovation, association qui fédère le secteur. Pas négligeable, la voile de compétition pèserait entre 5 et 10% de l’ensemble de la filière nautique française, la troisième au monde derrière ses concurrentes américaine et italienne. Seuls deux autres sites spécialisés ont une taille comparable : la Hamble River à l’ouest de Portsmouth , en Grande-Bretagne, et Auckland, en Nouvelle-Zélande, tournés vers les épreuves en équipage, préférées par les Anglo-Saxons, alors que le spot breton verse dans la course en solitaire, une passion tricolore.

La « Sailing Valley » est peuplée de très petites boîtes, mais une poignée de sociétés sort du lot. A commencer par deux chantiers spécialistes des matériaux composites créés dans les années 1980, où sont nés une foule de grands voiliers océaniques : Multiplast à Vannes et CDK Technologies à Port La Forêt et Lorient. Le premier a construit les « foilers » « Edmond de Rothschild » et « Saint-Michel-Virbac ». Multiplast est depuis 1989 contrôlé par Dominique Dubois, ancien du BTP qui s’est associé voilà trois ans à son confrère suisse Décision. Le duo ainsi constitué est devenu le plus grand chantier de voiliers de course européen (20 millions d’euros de chiffre d’affaires ).

CDK Technologies (il pèse de son côté 6 millions) a, pour sa part, construit ou modifié les coques de sept concurrents du Vendée Globe, dont « Banque Populaire », un bijou à 3,5 millions d’euros. Ce chantier a été créé par Hubert Desjoyeaux (le frère du skipper Michel), technicien réputé, décédé en 2011, et est contrôlé depuis une vingtaine d’années par Philippe Facque, un ex-coureur au large. «Comme le marché de la course reste aléatoire, on se diversifie dans l’aéronautique et l’énergie, dans les hydroliennes notamment», précise le P-DG de CDK. Même stratégie chez Multiplast, qui travaille aussi dans l’aéronautique et le bâtiment, où il vient de réussir un joli coup en livrant les bulbes dorés de la nouvelle cathédrale russe de Paris !

Le voilier « Banque Populaire », la réussite d’une multitude de PME tricolores : (cliquez sur l’image pour l’agrandir).

©Yvan Zedda/SP

Aux côtés des duellistes de la coque en composites, d’autres équipementiers locaux sont aux premières loges du « Vendée ». Dans l’ancienne base sous-marine de Lorient, Lorima a construit les mâts en fibre de carbone de la moitié de la flotte. «Le règlement a imposé un modèle unique pour les nouveaux bateaux et nous avons décroché le marché, raconte le P-DG Vincent Marsaudon, encore un ex-skipper, propriétaire de l’entreprise depuis 2009. Un mât exige trois mois de travail et vaut dans les 200.000 euros pièce !» Le chiffre d’affaires de Lorima, 6 millions d’euros, dépend aussi des commandes de chantiers spécialisés dans les yachts et sur un début de diversification dans les antennes pour opérateurs mobiles.

Son voisin Plastimo, lui, a livré tout ou partie des équipements de secours – radeaux, gilets et autres lampes de détresse, un trousseau complet valant dans les 8.000 euros – à la majorité des concurrents. Ancienne société familiale, Plastimo avait frôlé la faillite avant d’être reprise en 2012 par Alliance Marine, société toulonnaise, leader national de la distribution d’accessoires nautiques contrôlée par Jean-Paul Roche. L’entreprise s’est bien redressée et compte plus de 100 salariés pour un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros. « Cela marche mieux car on innove, insiste Yann Cornec, un ancien de L’Oréal, directeur de Plastimo depuis trois ans. Nos radeaux double chambre, un procédé maison, sont aussi costauds que des semi-rigides, genre Zodiac. Nous vendons également sur d’autres marchés comme la protection civile ou les plates-formes pétrolières. »

Une autre PME high-tech du cru joue un rôle clé dans ce tour du monde en solitaire : NKE Marine Electronics, propriété depuis 2007 de Jean-Claude Le Bleis, un ancien de chez Thales. Avec un chiffre d’affaires de 7,8 millions d’euros, il est le premier fabricant français de pilotes automatiques, un système informatique composé de capteurs et de calculateurs qui, en fonction du vent, du cap et de la vitesse, commande la barre. Ce matériel coûte environ 60.000 euros en version compétition. Il se doit d’être très solide pour faire face aux intempéries et est indispensable aux skippers qui ne passent que 10% de leur temps physiquement aux commandes de leur navire. « NKE a placé des équipements sur plus de la moitié de la flotte du Vendée Globe, se félicite Paul Fraisse, le directeur général. Mais nous réalisons l’essentiel de nos ventes en nautisme de loisirs et dans les capteurs pour mesurer la qualité des eaux dans le domaine océanographique. »

Pour clôturer notre virée lorientaise, un coup de chapeau à l’entrepreneur qui compte 27 des 29 skippers parmi ses clients, un record. Ariane Pehrson, une Suédoise, bretonne d’adoption, a créé Lyophilise & Co en 2010 et a livré la quasi-totalité des repas embarqués. « Nous avons plus de 600 plats lyophilisés et 150 types de barres nutritionnelles en référence. Pour varier les recettes, je me fournis dans une trentaine de pays, raconte la jeune femme. Pour les trois mois d’un tour du monde, le coût est de l’ordre de 4.000 euros. » La nouveauté de l’année ? Des plats stérilisés préparés par des traiteurs. Plus lourds à transporter, mais excellents pour le moral de nos solitaires.

Éric Wattez

©Capital