La Route du Rhum se court d’abord dans les bureaux d’études

Aérodynamisme, résistance des matériaux… Les outils de simulation numérique déferlent sur la conception des navires de compétition, décuplant leurs performances.

©sciencesetavenir

Le trimaran IDEC Sports de Francis Joyon pendant la Route du rhum 2014. ©FILLES MOREL/SIMAX/SIPA

Elle reste dans toutes les mémoires, comme un cauchemar à ne jamais revivre. Avec des rafales à 140 km/h, la Route du Rhum version 2002 a ravagé la flotte : sur 58 bateaux engagés, seuls 28 sont arrivés aux Antilles. Collisions, chavirages, mâts fracassés, flotteurs explosés… Le matériel n’a pas tenu. Une leçon pour les navigateurs mais aussi pour les architectes navals qui conçoivent ces bateaux. À tel point que le skipper Lionel Lemonchois, double vainqueur de la course (2006 et 2010), se veut désormais rassurant : « Ces dix dernières années, nous avons beaucoup progressé. Les bateaux sont plus fiables, tout en étant plus performants ». Même si la casse est toujours possible, ces « bêtes de course » font désormais l’objet d’études et de calculs numériques très poussés. « Un voilier se résume à un système de propulsion, les voiles. Il est freiné par les traînées hydrodynamiques de la coque et celles, aérodynamiques, provenant essentiellement du gréement. Le jeu consiste à augmenter le rendement de la propulsion tout en diminuant ces freins », résume Vincent Lauriot Prévost, l’un des créateurs du cabinet d’architecture naval VPLP design, d’où sont sortis de nombreux voiliers à succès et sept des huit multicoques Ultime (plus de 60 pieds, soit 18,28 m) engagés sur la prochaine Route du Rhum.

Dans les faits, la conception se révèle complexe. Elle commence par une modélisation en 3D des navires décrivant la forme, mais aussi les caractéristiques physiques des matériaux utilisés. Les ingénieurs peuvent ainsi prévoir très précisément quels seront les efforts supportés par chaque point du bateau et déterminer le nombre de couches de carbone et les renforts nécessaires pour prévenir la casse, principalement sur la coque et le mât. « Lors d’épreuves extrêmement difficiles comme le Vendée Globe, la course autour du monde en solitaire, les bateaux sont contraints de traverser certaines régions redoutées, comme la zone des alizés après le passage de l’équateur. Le choc d’une vague peut alors représenter une pression de 8 tonnes par mètre carré, ce qui implique que nous dimensionnions la proue pour qu’elle résiste à une pression de 22 t/m2 afin d’éviter toute voie d’eau fatale », précise Guillaume Verdier, architecte naval. Une fois la forme et la structure de la coque définies, les ingénieurs éprouvent son comportement hydrodynamique. Finis les bassins de carène, sortes de grandes baignoires dans lesquels étaient testés auparavant des modèles réduits. Trop long et trop coûteux. Aujourd’hui, ce sont des logiciels de mécanique des fluides numérique (CFD, Computational Fluid Dynamics), sortes de bassins virtuels, qui analysent dans le détail les écoulements autour du bateau. « Ils nous permettent d’estimer la traînée alors que celle-ci dépend d’équations quasi insolubles car pourvues d’un très grand nombre d’inconnues », poursuit Guillaume Verdier. L’environnement de la coque est ainsi réduit en milliers de petits cubes, chacun représentant un point de calcul. La somme de ces points révèle l’hydrodynamique de la coque dans son ensemble, et donc la traînée qu’elle engendre.

 

Un logiciel prédit la vitesse du navire

Des simulations qui valent aussi bien pour les monocoques que les multicoques (catamarans et trimarans), ces derniers ayant pour particularité d’être équipés de foils, sortes de gros ailerons positionnés sous les flotteurs latéraux et destinés à « pousser » le bateau hors de l’eau quand la vitesse augmente. « En réduisant ainsi la surface mouillée, ils diminuent considérablement la traînée », explique Tanguy Redon, architecte naval du bureau d’études du maxi-trimaran Banque Populaire VII, l’un des favoris de la Route du Rhum 2014. Conséquence, ces bateaux flirtent avec les 50 noeuds et traversent l’Atlantique en à peine plus de sept jours contre près du double au début des années 2000. Parallèlement, les architectes planchent sur l’aérodynamique de toutes les parties aériennes, particulièrement les voiles et le mât pour trouver un profil de gréement optimal tout en réduisant les traînées. À cette étape, le bateau n’a toujours aucune existence physique. Il se résume à un immense tableau virtuel décrivant ses caractéristiques. Il est alors temps de le tester… toujours sur ordinateur, grâce au VPP (Velocity Prediction Program), un logiciel destiné à répondre à des questions du genre : « Si un vent de 15 noeuds souffle à 45°, quelle sera la vitesse du bateau, son angle de gîte, son assiette (trim), sa dérive, etc. ? » Mieux. Il définit les réglages optimaux à suivre pour « tirer » le maximum du bateau en course dans toutes les conditions de vent : configuration et surface de voile, angle d’ouverture du gréement, ballastage… Des données précieuses auxquelles le skipper pourra se référer à tout moment durant l’épreuve à partir de son ordinateur embarqué. « Nous avons développé un logiciel qui permet de tester le bateau sur le parcours de la compétition en compilant les données météo des vingt dernières années. Ainsi, avant le départ de la Route du Rhum, nous aurons eu la possibilité de tester plusieurs bateaux virtuels sur différents tracés pour vérifier lequel sera le meilleur », explique Guillaume Verdier. Car au terme de ce minutieux travail de conception, un seul navire sera retenu parmi tous ceux qui auront été imaginés. Celui-ci aura la chance de sortir réellement des chantiers après les quelques mois nécessaires à sa fabrication pour être mis à l’eau et subir ses premiers essais en mer. Mais il aura déjà parcouru des centaines de milliers de milles, essuyé les pires tempêtes, affronté les déferlantes… sans jamais se mouiller !

Article rédigé par Olivier Hertel

©sciencesetavenir