Coupe de l’America. Et maintenant ?

Après sept ans d’hégémonie américaine, la Coupe de l’America passe sous dictat néo-zélandais. Comme le veut la tradition, les vainqueurs vont imposer leurs règles pour la prochaine édition. Mais quelles seront-elles ? Une seule certitude: ça va changer.

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 A chaque fois que la Coupe change de main, c’est toujours la même chose: les règles se font et se défont. Les Américains d’Oracle, qui ont perdu la Coupe lundi au profit des Néo-zélandais de Emirates Team New Zealand, avaient pourtant choisi de rompre avec la tradition. Ils s’étaient entendus dès janvier avec 4 équipes (britannique, suédoise, japonaise et française) sur une prochaine édition dans 2 ans, dans une baie aux Bermudes, avec des bateaux monotypes (multi-coques de 50 pieds) et des manches de 20 minutes.
Luna Rossa, le retour
Mais ils n’avaient pas imaginé ne pas gagner – le defender édicte des règles qui lui permettent en principe de conserver le précieux trophée. Au pire, ils avaient envisagé une victoire de leurs « alliés ». Finalement, c’est leur ennemi juré, les Kiwis, qui ont enlevé la Coupe, les seuls à avoir refusé de signer le pré-accord proposé par Oracle et son richissime propriétaire, Larry Ellison. Alors que vont faire les Néo-Zélandais ? Ils vont gérer à l’ancienne en s’appuyant sur le postulat de base, immuable depuis 166 ans que la Coupe existe: celui qui détient la Coupe, le defender, est défié par une équipe, le challenger, qui devient « challenger of record », c’est-à-dire challenger officiel.
Sur ce point, le suspense à été de courte durée. Quelques heures seulement après leur victoire dans la baie de Great Sound, les Néo-Zélandais ont annoncé avoir accepté que le Circolo della Vela Sicilia, représenté par le syndicat italien Luna Rossa, devienne le challenger officiel de la prochaine édition de la Coupe de l’America. L’homme d’affaires italien Patrizio Bertelli, patron du groupe de luxe Prada qui parraine Luna Rossa, sera l’interlocuteur de l’équipe italienne auprès des Néo-zélandais pour définir avec eux la date et la réglementation de la prochaine édition.
Bertarelli séduit
Autre grand capitaine à voir la victoire des Néo-Zélandais d’un bon oeil: Ernesto Bertarelli, double vainqueur de la Cup avec Alinghi. Le Suisse, qui était présent aux Bermudes, a dit « réfléchir » à une nouvelle aventure sur la Coupe. Le catamaran à foils – ces appendices latéraux qui permettent au bateau de se surélever au dessus de l’eau pour filer à toute vitesse – lui a bien plu.
Or, les Kiwis ont laissé entendre qu’ils reviendraient au monocoque, bien moins rapide. Grant Dalton, le directeur général d’Emirates Team Zealand, a indiqué qu’il espérait faire une annonce dans « les semaines à venir », avec l’objectif d' »unir un monde de la voile fragmenté ». « Tout le monde dit que ce serait une ineptie de changer de bateau, je ne vois pas comment changer de bateau sans revenir en arrière en terme de performance pure, de spectacle. Ce ne sont pas les marins qui décident mais plutôt les politiques au dessus des marins, ceux qui ont financé le bateau », déplore Franck Cammas, qui milite pour que la course « s’ouvre à un peu plus qu’une course de milliardaires ». Les Kiwis ont-ils envie de rendre la Coupe de l’America plus populaire ? Difficile à dire. Mais une chose est certaine, ils veulent se débarrasser de la monotypie des bateaux imposée par les Américains. « Ils ont gelé la règle, ils ont réduit énormément le terreau fertile de la créativité. En faisant des bateaux uniques qui sont très limités, il y a beaucoup de gens qui s’en désintéresse. Tout le monde a le même jouet et on vous laisse un tout petit domaine de prédilection », lance l’architecte des foils du bateau kiwi, le Vannetais Guillaume Verdier.
Du thé à la boisson énergisante
Le bateau néo-zélandais a pourtant été, et de loin, le plus innovant de la flotte de la 35e Coupe, avec des foils résolument différents, des cyclistes à bord pour produire l’énergie, et des systèmes de contrôles ultra performants. Loïck Peyron, consultant chez les Suédois de Artemis Racing, estime que les Néo-Zélandais ne sont pas forcément hostiles aux révolutions initiées par Oracle depuis quatre ans en termes de format pour faire de la Coupe un show très visuel et compréhensible par le grand public. « Cette vieille dame (la Coupe) s’est fait relifter. Ils l’ont franchement tuée pour récupérer l’ADN et le réinjecter dans un body plus sexy. C’est une « re-création » et on est passé du thé à la boisson énergisante. L’idée c’est de rapprocher un spectacle d’un public car le public initié voile est un épiphénomène dans le monde », analyse-t-il. Mais en Nouvelle-Zélande, la voile est un phénomène national.